Discussion - L’utilisation du « mini-Kiosque aux indicateurs » pour la mise en évidence des enjeux de qualité de la connaissance scientifique dans le débat social
Dans ce débat, l’AFSSA se fait remarquer pour son peu de commentaires. Ceux qui sont toutefois inclus concernent notamment leur expérimentation pour tester le risque de l’imidaclopride vis-à-vis des abeilles. Par contre, les apiculteurs, Bayer et les scientifiques sont très actifs à faire des commentaires, alors que le Ministère et l’AFSSA ont plutôt une attitude réticente, sans beaucoup de commentaires et des réponses dans les couleurs jaune et blanche.
Le jugement sur l’évolution d’un indicateur (notamment un résultat ou donnée scientifique) dans un scénario est donné en fonction de la connaissance scientifique qui est jugée comme étant pertinente. Par exemple, Bayer considère que, sur la base de ses propres études de terrain, il n’y a aucun risque de l’imidaclopride en enrobage des semences de tournesol, raison pour laquelle il juge que cet indicateur aura par exemple une évolution positive dans le scénario « Maintenir tous les usages du Gaucho ». Par contre, les apiculteurs considèrent que la conclusion du CST, qui indique un risque préoccupant pour les abeilles, est pertinente, et en conséquence ils donnent un jugement négatif à l’évolution de cet indicateur dans le scénario « Maintenir tous les usages du Gaucho ».
La MD permet donc de choisir le scénario qui est le moins indésirable (ou le plus désirable), même si elle peut être construite par les divers acteurs sur la base d’une définition différente de la réalité. Mais de quoi a-t-on besoin de savoir pour choisir (collectivement) ? Tel est défi que soulève la Matrice. Faut-il « connaître » pour « agir », ou faut-il uniquement arriver à une idée claire de « ce qu’il faut faire » ? La Matrice propose une navigation dans l’incertitude « par compromis », le guide pour l’action collective étant un degré plus ou moins important d’adhésion des participants à la délibération à une action à entreprendre. Le grand intérêt de l’utilisation de la MD est qu’elle permet une structuration du débat autour des connaissances scientifiques le long des mêmes indicateurs, ce qui rend possible la comparaison entre les affirmations des divers acteurs. Dans ce sens, la MD peut contribuer de manière significative non seulement à assurer la transparence, mais aussi à mieux comprendre « où est le problème ». L’utilisation de la MD peut être très flexible. Par exemple, si les apiculteurs « verdissent » tous les cellules dans le scénario DefTourMaïs, le résultat global de la matrice change complètement, car le scénario choisi sera DefTourMaïs (Figure 1). En tout cas, l’utilisation de la MD ne demande pas de considérer que les acteurs vont donner l’estimation « vraie » de leur préférence pour l’évolution d’un indicateur, pour un enjeu x un scénario. Cette caractéristique fait sa force - par le pragmatisme et l’adaptation au comportement réel des acteurs, et sa faiblesse - par le fait qu’elle ne peut pas prendre en compte uniquement la connaissance scientifique « de la meilleure qualité »[1], mais toute la connaissance qui est proposée par les acteurs impliqués dans le processus d’évaluation, indifféremment de son statut scientifique.
Figure 1. Nouveau scénario choisi si un des acteurs modifie les jugements sur les indicateurs
Pour compléter cet aspect, l’utilisation duKiosque aux Indicateurs dans la Matrice de Délibération devrait être faite en tandem avec l’espace EQC (Évaluation de la qualité de la connaissance) de KerAlarm.
Pour vérifier l’hypothèse de la surdétermination socio-économique et politique des discours descriptifs[2] en situation de débat, et pour compléter l’évaluation en termes d’évaluation contextuelle proposée par l’utilisation de la MD, nous avons mis en pratique une démarche multi-acteur d’analyse de la qualité de la connaissance « avec les vrais acteurs ». Le choix de cet exercice a été dicté par l’intérêt des acteurs dans le sujet abordé (le caractère multifactoriel des troubles des abeilles) et par leur adhésion immédiate à la méthode proposée (indifféremment de la catégorie d’acteurs). Ces deux éléments pragmatiques ont permis l’accès au « monde réel » et la participation des acteurs, sans laquelle la démarche serait restée purement théorique.
L’exercice que nous avons imaginé porte sur le cadrage du problème du risque du Gaucho vis-à-vis des abeilles rapporté aux autres causes potentielles des troubles des abeilles qui ont été invoquées lors du débat.
[1] Nous faisons donc le choix de ne pas considérer la connaissance scientifique uniquement comme une simple « construction sociale » contingente à l’espace socio-économique de sa production, mais comme un résultat d’un effort organisé et discipliné de comprendre la réalité physique, qui n’échappe pas bien sur à la surdétermination sociale mais qui ne perd pas par cela sa valeur de compréhension des phénomènes physiques ou biologiques. Le défi de trouver « la meilleure connaissance scientifique » n’est pas non plus de séparer la composante « sociale » de la composante « objective » de la connaissance scientifique, mais de ne pas donner la place au relativisme absolu dans la production et l’usage de la science, ce qui invaliderait complètement son rôle social.
[2] Qui portent sur la description scientifique ou profane de ce que les acteurs considèrent être « la réalité » du problème.